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De la grotte du Cyclope à l'oeil de la Tempête -

Un récit en images d'une balade en mer (trop long rapport d'un court périple) -

Pour des centaines de raisons (histoires & aventures), je voulais voir si le Stromboli était aussi majestueux qu'on le disait.

Demeure d'Éole maître des Vents, lieu de tournage de films cultes, témoin de passions torrides, survolé par des dirigeables tout à fait romantiques - bref ce qu'il faut pour déclencher l'envie de vérifier et sentir tout cela.

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Dans un archipel de 7 îles, chacune à sa particularité, chaque île est spéciale. Je ne pouvais pas les voir toutes.

Je partais pour Alicudi, parce que j'avais lu qu'un petit garçon dansait sur ses falaises, nourrissait les hirondelles à bout de bras et dormait au soleil de midi, avec un lézard sur le coeur. C'est très mignon hein, malheureusement le bateau pour Alicudi coûtait 146 € (pragmatique, j'ai repoussé l'excursion à après Droit-Eco). Mais tout de même, voilà ce qui fut vu.

 

Catania - Milazzo

De Catania (côte est de la Sicile, la ville aux pieds de l'Etna), il fallut prendre un train pour Sant'Agata. Un train régional à rythme de locomotive, qui passait par Barcellona, Villafranca (et autres célèbres gares à travers les mégalopoles siciliennes surpeuplées).

Le train de campagne avançait tellement lentement que j'avais sous estimé sa vélocité et j'étais descendue, tard dans la nuit, une station trop loin. Alors il fallu rebrousser chemin, et voir d'autres petites gares. Le train a contourné une des trois pointes de la Sicile, frôlé Charybde et Scylla sans dérailler et on est arrivées, de nuit, à Milazzo, charmante petite ville portuaire.

Très tôt le lendemain matin à Milazzo, tout en haut de l'immeuble, en buvant le petit caffe, on pouvait voir les montagnes et aussi les mammas astiquer leurs balcons (Milazzo, Février 2017).

Je la trouvais belle, cette nonna de dos, perchée sur son chemin, on aurait pu croire qu'elle marchait droit vers les montagnes bleus- on a de la chance le matin de saisir des petits moments de vie. (Milazzo, Février 2017).

Au port de Milazzo, légère brume. Un soleil mouillé, un hydroglisseur qui tangue, dans le port une mer calme, d'argent coulé (Milazzo, Février 2017)

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C'est un peu plus loin, à quelques centaines de mètres de là, que l'on situe la grotte de Polyphème.

Polyphème, le célèbre cyclope, qui voulut manger Ulysse et ses compagnons. En même temps la côte Sicilienne, entre Catane et Messine, en passant par Taormina, s'appelle La côte de Cyclopes.

C'est un peu comme les poulpiquets à Brocéliande, on n'en a jamais vu mais tout le monde y croit (mais si).

On embarque dans un hydroglisseur pour l'île de Salina. Des sept îles, la "plus importante" est Lipari (les habitants des autres îles dénoncent d'ailleurs incessamment sa qualité de ville: "Tutto un casino, c'è troppo chaos" - C'est un bordel, trop de chaos. C'est vrai quand même, une grande île de 12 000 habitants comme ça !).

Le calendrier 2k17 Pape François, la base.

 

De Milazzo à Salina, en passant par Vulcano et Lipari -

Splendide bateau qui mouille à Vulcano en attendant l'été. J'ai mis du temps à analyser la photo et remarquer l'étendard français.

(NB. On dit que c'est sur cette île que se trouvaient les forges d'Héphaïstos/Vulcain, Dieu du Feu, de la Forge, de la Métallurgie et des volcans, mari d'Aphrodite la déesse de l'Amour et de la Beauté.

C'est lui le fils de Héra, et peut être de Zeus. Le pauvre petit bébé était affreux à la naissance, pour se l'ôter de la vue, sa mère ou son père le jetèrent du haut de l'Olympe. Par chance, il fut recueilli et soigné, mais il garda son pied bot.

A Vulcano, il aurait forgé les armes d'Achille, soudé le collier d'Harmonie, et voilà l'atelier de l'inventeur de génie).

 

Remarques sur les escales

Avant d'arriver à Salina, nous avons une pause à Vulcano, ça sent très fort l'oeuf pourri, et puis ensuite nous faisons un détour par Lipari.

À chaque escale des îliens descendent chargés de cabas et de sac de courses, le tout bien ficelé, ils ont cherché à rendre étanches leurs vêtements, leurs caisses de Prosecco, leurs valises.

Au rythme des rares débarquements (certes on est en semaine mais bon ah.h!), je remarque pour la première fois la rareté des trajets entre les îles pour les îliens. L'hydroglisseur est presque vide, il y a plus de matelots que de passagers.

A Vulcano:

"Vulcano è la più bella ! On est bien à Vulcano, non, pourquoi aller voir les crétins de Lipari, il y a trop de bruit et de confusion à Lipari ?"

A Lipari:

"Lipari è la più bella ! On est bien à Lipari, c'est civilisé au moins, pourquoi allez mettre les pieds sur Vulcano, ça pue le souffre !"

A Salina:

"Salina è la più bella ! On est parfaitement installés à Salina, ici les gens sont arrivés plus tard, ils ont appris des erreurs des autres îles, Lipari c'est le bordel, Vulcano pue, Panarea c'est cher, il n'y a que des vippes.

- Pardon des quoi ?

- Des VIP, very important persons, alors c'est cher.

- Et Alicudi ?

- Beh, non c'è niente, il y a rien ! Ils n'ont même pas la lumière et le gaz ! Il faut tout transporter à dos d'âne ! Vous ne voudriez pas y mettre les pieds !

-Boh..."

Et à Stromboli:

"On a la plus belle île. On a une île reine, respectée."

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Même pas besoin de critiquer les autres, même pas besoin de faire l'éloge de son île, c'est tacite.

Quand on vit sur un volcan qui explose de la lave rouge dans le ciel la nuit à la vue de tous les autres, dans une pluie d'étincelles jaunes - pourquoi chercher à impressionner ?

Quand les habitants de toutes les îles sont sous le même dôme étoilé, tous entourés de la même mer agitée. Quand ils sont unis par la nuit en mer, et qu'au loin ils voient le magma en fusion dégouliner du cône aussi noir que la mer et le ciel. Quand dans les rares cafés, deux verres de cristal posés l'un près de l'autre sur une table tintent à chaque secousse (trois fois par heure). Alors tous les regards se portent vers le Stromboli, naturellement.

À qui est ce que cela inspirerait autre chose qu'un respect mesuré et une crainte admirative ? Boh.

*

Des îliens qui restent sur leur île, et qui évoquent tous, l'une ou l'autre sortie sur le continent (ou la Sicile, mais sur les îles c'est presque pareil je crois, la Sicile, le continent, boh.).

C'est vrai, pourquoi diable aller à Filicudi ? Et nous, les petits voyageurs, avons l'insolence crétine mais toutefois amusante de courir les îles, mais qu'avons nous pas encore saisi au juste ? Nous sautons de l'une à l'autre comme s'il ne fallait qu'un pas.

C'est vrai. Un tout petit trajet d'hydroglisseur, à peine cent vingt minutes, ce n'est rien quand on vient de l'autre bout du monde. Et alors ? Pas de désinvolture. Pas d'irrévérence. Une formidable curiosité -

 

Voilà Salina. J'avais imaginé des petites îles, avec des falaises jaunies par le soleil et une végétation éparse. Je suis surprise de découvrir que Vulcano, Lipari et Salina sont verdoyantes, un vert foncé que j'associais au continent et pas à des rochers volcaniques au milieu de la Méditerranée.

Les rues sont étroites et colorées, les devantures décorées, les magasins fermés entre midi et seize heures. Boh, la sieste hein.

En continuant dans une petite rue étroite, aussi serrée qu'un espresso (deux Vespas ne pourraient pas s'y doubler ), on peut grimper un peu, passer la dernière maison cubique blanche de Santa Marina.

On longe un dernier muret, blanc lui aussi, des forêts de cactus. Déjà les premières figues de Barbarie sont là, les arbres chargés de citrons, les troncs entourés d'oranges trop mûres tombées. Il y a les figuiers nus et osseux, l'écorce si lisse, ils attendent leurs premières feuilles. Le chemin est de terre rouge glissante.

Vous voyez, déjà la mer est agitée, les grains, les riz, des forces venteuses sont à l'oeuvre et la tempête couve.

Pas la tempête avec des éclairs et du tonnerre. Une tempête des mers, qui agite les flots, plus tard ils seront couverts d'écume. La mer n'es plus bleu uni et lisse comme un grand reposoir, alors on sait que demain il n'y aura pas d'hydroglisseurs. On ne voit même plus le Stromboli, c'est dire. J'aime bien regarder la tempête arriver pour nous emprisonner sur notre caillou.

De Santa Marina di Saline à Malfa, route taillée dans la pierre, cactus en cavalcade vers la mer, (Salina, Février 2017) -

Statue penseuse en pierre volcanique, vue en arrivant à Malfa, un petit village à 7 km de Santa Marina (port d'arrivée des Aéroglisseurs).

Malfa, nous l'avons rejoint après avoir marché sur la route en lacets qui borde la côte, entre les plis de terre volcanique et les ruines de colonies grecques. Malfa c'est cool. Les gens sont chills et il y a le seul café ouvert.

Au café, ce sont les hommes qui se retrouvent (j'ai l'impression que les femmes, à Salina, sont dans leurs maisons), des hommes de toutes générations qui se regroupent par classe d'âge. Des gosses s'amusent avec un tracteur dans un coin, deux mecs lisent un journal adossé à la table en céramique, un groupe de maghrébins joue aux cartes en parlant arabe. Je voudrais bien me joindre à eux.

 

Etna + phare de Lingua = Salina en Février 2017, avant d'être isolée dans la tempête.

Au loin, les formidables masses des nuages qui brassent leurs tempêtes foncent dans le ciel. Ce gros monticule fumant, c'est l'Etna. La vérité. Schwör alter. 3330 mètres d'altitude, le plus haut volcan d'Europe et un des volcans les plus actifs au monde. Au calme.

Le soir en rentrant, on peut voir le petit phare de Lingua qui s'allume. Lingua, c'est là que se trouvent les marais salants qui donnèrent son nom à Salina. Salina l'île prospère, l'île qui possédait le sel.

"Le sel qui donne du goût, le sel qui conserve, qui sale les rues quand elles glissent". C'est ce sur quoi insistera le prêtre ce soir à la messe. Il leur dira "Vous êtes le sel de la terre, vous êtes la lumière du monde, oui vous à Salina, vous êtes le sel !"

L'Eglise de Salina ressemble à la fois à une mosquée, à une grosse mandarine (avec sa coupole ronde et orange) et à un phare, parce qu'en haut de la coupole, il y a une minuscule tour de verre, à laquelle on peut accéder par une minuscule échelle (ou plutôt une via Ferrata le long de la Coupole-Mandarine).

Mathieu, 5.13 : "Vous êtes le sel de la terre. Mais si le sel perd sa saveur, avec quoi la lui rendra-t-on? Il ne sert plus qu'à être jeté dehors, et foulé aux pieds par les hommes. Vous êtes la lumière du monde. Une ville située sur une montagne ne peut être cachée."

Voilà ce qu'à lu le prêtre de satin vert vêtu.

J'ai bien aimé, il expliquait la lumière, il prêchait l'amour avec ferveur "Tu sai la luce ei miei occhi", Tu es la lumière de mes yeux, voilà ce que disent les amoureux.

Le voilà l'Etna, 10 minutes plus tôt, quand on distinguait encore ses sommets enneigés, et qu'il moins difficile de confondre son immense cône, si lointain, avec un cumulonimbus à l'horizon. Salina, Février 2017.

Etna, du grec "Aitne" (je brûle), ou du phénicien "Attuna" (fournaise). Comme un gout de gigantomachie, comme un goût de mythologie. Les titans, ayant perdu la guerre contre Zeus, furent enfermés sous la Sicile, et parfois, depuis l'Etna, ils crachent encore leurs haleines brûlantes. C'est bien d'avoir ce genre d'anecdotes présentes à l'esprit quand on se balade, tous les paysages prennent le goût antique de légendes dévoilées.

En sortant de l'église, les rues étaient éclairées. Salina, le soir après la messe.

 

Lipari vue depuis le sommet des îles, 2017.

Le jour d'après, en haut du Monte Fosse elle Felci, point culminant des îles éoliennes (964m), on peut apercevoir Lipari dans la tempête. Le bateau pour Stromboli de 17h est annulé. Tant mieux, une nuit de plus sur une île c'est jamais perdu. En bas le petit village de Lingua. Pour redescendre, un chemin va tout droit, dangereux ce chemin sur une crête de montagne.

L'entre ciel émerge crois -

Depuis le chemin qui a le dos rond comme un chat qui s'étire en ronronnant, Salina, 2017 -

Impossible de dire ou commence la mer et où termine le ciel. Comme nous étions tout en haut, sur la crête de volcans éteints et inoffensifs, les nuages nous caressaient, et on recevait des petites averses de grêle. Ce n'était pas désagréable.

Il pleutinait.

Un trait gris plombé instaure le doute sur la disparition de l'horizon tout à l'heure ? - Salina 2017.

Après les oliviers, après la mer grise plombée, on voyait le triangle de l'île ronde. Juste sous la tâche de lumière (l'attache de lumière mdr) les pentes évasées du volcan.

Et les formidables nuages, des ombres sur la mer. Et encore des îles, dont les côtes ourlées d'écume blanche semblaient nous rappeler, à nous qui étions 1000 m au dessus de cette mer, que la tempête faisait rage, que la mer était arrabiatta, furieuse, ou déchainée comme on dit en Bretagne.

Et avec cela, le soleil se mit à briller, et il fallut dévier le regard.

Coincées à Salina, à regarder la tempête passer. "Sel de la Terre, lumière du Monde."

Entre les conifères des sommets, les nuages qui passent dessinent la carte de la Terre sur la Mer.

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